1) Introduction : généralités et rapide aperçu des origines des blessures de notre environnement
Nous appelons « nature » ce que nous voyons du monde, de l’humble brin d’herbe aux soleils resplendissants. C’est la Vie qui grouille de ses richesses, perpétuellement en mouvement, se renouvellant et se régénérant sans cesse, avec ses principes et ses lois à priori immuables. Dans ce biotope, les éléments sont interdépendants, s’entraident et se combattent constamment : ainsi, nulle vie ne peut se perpétuer sans prendre l’autre vie. Les plantes éliminent les plus faibles d’entre elles, les animaux chassent, le moindre petit oiseau au chant divin n’a pas de scrupules à avaler un ver de terre vivant, l’être humain, même végétarien, doit couper sa salade et ses épinards pour survivre, désherber son potager. Seul le minéral est pacifique, ne demande rien, ne s’anime pas aux yeux du commun, ne va pas combattre l’autre. Il est. Sans renier l’autre. Et pourtant, lui aussi vit.
Par contre, cette vie animée s’entraide aussi : les plantes se protègent entre elles, certaines font fuir certains prédateurs, les auxilliaires animaux nous aident à…tuer des ravageurs, il existe des cas de symbioses remarquables. La vie est en quelque sorte une vaste histoire de sexe et de violence.
Pourtant, au sein de ces luttes incessantes, nous vivons et l’histoire a assez prouvé que nous sommes les meilleurs parmi toutes les vies existantes dans la prédation et les tueries avec notre belle intelligence qui nous fait inventer des produits – pourtant au départ issus de la même nature !- capables de tout tuer pour notre domination absolue sur tous les règnes.
Le résultat final, nous le connaissons et commençons à le voir et le subir : la destruction de l’équilibre vital, la pollution et l’enlaidissement de notre belle planète bleue, ce legs à nos enfants. Certains êtres humains ont depuis longtemps œuvré pour la destruction de leurs propres enfants : étrange n’est-ce pas ?
Prise de conscience
Cependant, de tout temps il y eut et il y aura toujours des esprits éclairés et généreux, des âmes d’artistes qui sont en quête de beauté et de pureté, de connaissance et de sagesse, constamment conscients et en contemplation devant la magnificence de cet univers. De nos jours, ces âmes là se mobilisent pour crier l’urgence de la sauvegarde de la biodiversité, du danger fatal des interventions immodérées et irréfléchies de l’intelligence humaine sur son environnement, du devenir mortel pour le physique comme le spirituel du réflexe dominant-dominé. Émerge alors cette troisième humanité qui devrait parachever l’évolution humaine en installant une vie de paix, de beauté et de sagesse. La première humanité, celle des cueilleurs, subissaient la nature et se contentait de prélever ce qu’elle lui donnait. La deuxième, du début du néolithique à nos jours, a donné ce que nous voyons : pollution, destruction et misère, conséquences d’une pulsion effrénée de cet Homme à dominer et avoir. La troisième – si cette deuxième ne détruit pas tout avant !- évolue vers une autre vie de compassion, d’amour et d’entraide à tous les niveaux des règnes végétal et animal, le minéral restant souverain et intouchable dans sa vie parfaite. L’être humain est fébrile, fonce en aveugle. La pierre contemple et se tait. L’être humain a à acquérir cette perfection : se contenter d’être et en être heureux.
Théocentrisme, humanisme et anthropocentrisme
En Europe, le bas moyen-âge avait connu la peste, les famines et les guerres. La réponse de l’Eglise était : Dieu punit. Depuis l’avènement du christianisme, la structure de l’existence était ainsi : Dieu au centre de tout, créant l’Homme au sein d’une nature à son service. Pouvant en disposer, il n’avait cure de la respecter et de la protéger. Bien au contraire, il s’agissait de l’exploiter pour sa survie et son confort.
Pourtant, dans les temps pré-monothéistes, les religions avaient défini un sacré où l’être humain était partie intégrante de cette nature. Elles la respectaient car non séparé de l’humain. En ceci réside cette nouvelle prise de conscience de notre appartenance pleine et entière à une biosphère où tous les éléments sont interdépendants : c’est la dimension holistique de la création : non, nous ne sommes pas et ne vivons pas seuls.
Étrangement, cette libération – qu’a représentée la Renaissance – des âges sombres de la pensée a donné le même résultat que les monothéismes dogmatiques aux mains de clergés opportunistes : l’homme libéré, responsable de ses actes et de son devenir n’a pas de tempérance ni de sagesse. D’où d’autres guerres, d’autres destructions pour toujours dominer et pour cela, peu importe l’impact sur l’environnement, les peuples, les règnes animal et végétal.
Théocentrisme, humanisme, anthropocentrisme : même combat. Bien entendu, ces concepts auraient pu compter sur une clarté de vision de l’Homme qui aurait du comprendre que, malgré cette mise à disposition, il se devait de préserver son milieu de vie. Mais l’histoire a tristement prouvé le contraire . Qu’un Dieu souverain mette à disposition de l’Homme Sa création ne signifie pas qu’il puisse en faire n’importe quoi. Qu’on lui donne sa liberté ne doit pas générer une course effrénée à une exploitation opportuniste de la nature.
En fait, pour changer cet état de chose qui montre ses résultats sur la nature, il faut changer la pensée de l’homme, ses projections intellectuelles et émotionnelles. Inventer de nouveaux concepts même antagonistes n’ont pas changé le progrès inéluctable des déséquilibres naturels à tous les niveaux : climats, mondes végétal et animal, dégénérescence des peuples même et surtout les plus développés, apparition de nouvelles maladies, etc.
Précisions historiques du concept de permaculture
Il est cependant à noter qu’un nouveau temps de prise de conscience est à l’oeuvre. En effet, ce nouveau regard sur les méthodes et concepts de l’alimentation de l’être humain prend véritablement de l’importance dans les consciences dans les années 70, après avoir été défini au tout début du XXème siècle par des agronomes commençant à être soucieux de la continuation de la fertilité d’un sol par des méthodes naturelles. Il « suffisait » pour cela d’observer le travail de la nature elle-même. Tout esprit sensible à ce concept connait les noms de Fukuoka, Mollison, Odum et surtout Esther Deans qui fut le pionnier du non travail du sol.
Pourtant, les prémisses de ces idées remontent au moins au XVIIème siècle avec ce constat éclairé que l’agriculture ne peut être une notion générale mais dépend au contraire de chaque région où elle est mise en oeuvre : chaque biotope est différent selon moult critères : climat, altitude, relief, pluviométrie, etc.
2) Permaculture : un concept bien au delà des méthodes culturales
Il s’agit donc de considérer la vie comme un système indivisible et non plus comme une somme des parties indépendantes entre elles. L’Homme n’est pas un seigneur solitaire au milieu d’un environnement mis en esclavage pour l’épanouir ! Bien au contraire, il est partie intégrante et dépendante de tout un ensemble d’éléments constituant la richesse et la beauté de la vie. C’est la dimension holistique du vivant considéré comme un ensemble indivisible produisant l’équilibre nécessaire au bouillonnement du souffle vital. Le biomimétisme qui a mis des millions d’années à s’installer est là pour nous montrer et prouver cette interdépendance des éléments de la vie.
En pratique, elle consiste à mettre en action une agriculture durable, reconstruire une biodiversité bien mis à mal ces 2 derniers siècles par l’agro-industrie, apprendre à économiser les différentes formes d’énergies et non plus soumettre son exploitation à nos besoins égotistes. La finalité est bien de retrouver le respect du vivant sous toutes ses formes tout en concédant à la nature son développement dit « sauvage » et pourtant bien plus équilibré que ce que veut en faire « l’intelligence » de l’Homme qui a largement prouvé qu’elle était la cause de la destruction de tous ces écosystèmes.
Bien entendu, nous comprenons aisément que cette vision et action sur le vivant conditionne tout un ensemble d’aspects sociaux et éthiques, car elles vont créer l’environnement de l’homme sur le fondement de cette philosophie du vivant : préserver ce qui a mis tant de temps à s’élaborer car là est la beauté et la survie de notre espèce et ce que nous voulons en laisser à nos enfants, en espérant aussi qu’ils en soient conscients. Il y a donc en bout de chaîne toute une éducation nécessaire pour que la future génération continue cette renaissance de l’équilibre naturel.
D’où les notions d’écologie, de paysagisme, de biomimétisme, de choix philosophiques aussi. Ainsi, l’habitat est aussi concerné : manger sain dans un lieu sain. Il s’agit donc de prendre soin de son milieu de vie, de soi-même et de redistribuer le surplus : « vivre simplement pour que d’autres, simplement, puisse vivre » disait le grand Gandhi.
Méthode : l’observation des écosystèmes
Cette vision du vivant vise donc à réparer les « pannes » de moteur occasionnées par les actions irréfléchies de l’Homme, et quoi de mieux, de plus parfait et de plus éprouvé que ce que cette nature a elle même développé au cours de sa longue évolution et qui lui a permis de « tenir » pendant des millions d’années avant que l’intelligence de l’Homme ne vienne la mettre en danger en moins de 2 siècles ?
Que notre environnement ait subi des perturbations depuis le néolithique, personne ne peut contester cela. Dès l’instant où l’être humain a compris le système fécondant de la nature, il a pu commencer à vouloir amasser plus qu’il ne lui en fallait pour vivre, contrôler la production, s’enrichir et surtout, devenir un dominant sur toutes les structures équilibrant cet ensemble naturel. Il s’agit alors de faire appel au phénomène de résilience à la fois de notre écosystème, des espèces afférentes et des individus y évoluant, dépendant de son équilibre : diversité et stabilité de l’habitat naturel doivent permettre à l’Homme de s’y intégrer harmonieusement pour qu’il puisse en retirer ses besoins en nourriture, énergies et logement pour vivre de manière acceptable.
Éthique
Manger de manière épanouissante pour le corps, se chauffer, se déplacer, créer des outils aidant la main de l’Homme et se loger dignement ne sont plus conçus indépendamment de la préservation de ces éléments qui nous permettent cette aptitude à vivre. Au contraire, il s’agit de prendre soin de la nature (sols, eaux, forêts, air, …), de l’humain car celui-ci doit pouvoir vivre en s’épanouissant dans les pensées et les arts. Cela ne peut se faire sans un certain « confort » de vie : ces expressions de « sobriété heureuse » et de «simplicité volontaire » ne sont pas que des théories : de plus en plus d’esprits éclairés de tous les âges font le pas vers cette transformation. La conscience de notre responsabilité quant au legs de l’environnement aux générations futures s’installe de plus en plus dans le conscient collectif. Enfin, il ne s’agit pas de fuir l’abondance dans le respect de ce qui vient d’être énoncé, mais au contraire de la créer et de la redistribuer selon des valeurs de justice et d’entraide entre sœurs et frères humains, animaux, végétaux et minéraux.
On comprend bien ici cette dimension holistique de la réalité de la vie : non, nous ne sommes pas des prédateurs autorisés à tout soumettre à nos instincts de dominants !
Principes de la permaculture
Le premier élément sera donc la collecte d’informations concernant cette merveilleuse « machine » naturelle : observer minutieusement son efficacité et sa productivité et en tirer les lois et principes directeurs applicables par tous. On comprend donc que la voie reste très ouverte à des systèmes personnels évoluant au fil du temps et des connaissances et des régions. Il demeure cependant une base à la fois réelle et mouvante amenant une vision et compréhension du monde s’intégrant à l’individu et à la société dans laquelle il vit, devenant peu à peu un système culturel aboutissant à une « culture permanente » pour un futur durable, réparé et guéri des blessures provoquées par les systèmes agricoles et urbains pratiqués par l’Homme en manque de connaissance et d’éthique.
Nous sommes ici bien plus loin que la connaissance de la fabrication des buttes ou la possibilité de cultiver sans désherber, éléments le plus souvent réducteurs du contenu véritable de la permaculture. Pour exemple, un jardinier qui n’utilise pas de biocides, ameublit sa terre arable en sousolant, désherbe sans pailler car dans une région trop froide et qui minimise ses déchets par une vie au quotidien plus simple est un permaculteur qui participe pleinement à cet effort pour que la résilience de la nature puisse s’opérer.
Il s’agit donc bien d’un mode de pensée qui affecte l’individu et son milieu de vie : polyculture, transports, énergies renouvelables, etc. Si tout est interdépendant – ce qui semble une évidence – la prise de conscience et d’actions concerne le choix de la nature de sa dépendance : passer d’une allégeance aux supports importés, achetés, basés sur une technologie non contrôlée et imposée par le marché à une obédience plus spécifique, locale et basée sur un savoir-faire et connaissance disponibles ponctuellement, particulier au milieu de vie. Il s’agit de vivre au sein de son environnement local, s’en nourrir en ayant de moins en moins besoin des nourritures qui viennent de l’autre côté de la terre ! De même, chaque région a développé au cours des millénaires des savoir-faire spécifiques que l’on a peu à peu oubliés : à nous de nous les réapproprier car les mémoires sont là. Il faut revivifier ce qui a été négligé par souci de modes, d’économie ou de confort.
Il y a donc ici techniques et réflexion de substitution à une pratique millénaire inconsidérée, en même temps qu’une recherche d’efficacité pour une adaptation heureuse à la vie à laquelle a droit chaque espèce : humaine, animale, végétale et minérale.
Les éléments qui constituent la nature et en font son équilibre sont entremêlés : plantes, vent, soleil, pluies, températures mais aussi prédations et entraides inhérentes à cet équilibre engendrent une efficacité réelle : ça marche dans la nature ! Observer, étudier, déduire les lois et les reproduire pour une réussite maximale tout en économisant les énergies : tel serait le fonctionnement d’un système de culture pérenne qui s’auto-alimenterait comme le fait la nature depuis des millions d’années. Cette synergie fait que chaque élément subvient aux besoins de l’autre ou l’élimine sans pitié s’il met en danger cet équilibre, minimise et élimine les déchets nécessairement produits, distribue le travail à accomplir entre les groupes et forme ainsi des systèmes produisant les nourritures de la vie – aliments, matériaux, infrastructures, organisation sociale – et ceci avec un minimum d’effort et d’énergies possibles. C’est dire toute la mouvance et l’adaptation continuelles, tout « l’esprit » inventif nécessaires au déroulement dans le long terme de ce système : la nature montre que cela marche depuis des millions d’années.
Un modèle de structure permaculturel
Nous l’aurons compris : il faut procéder par zones : d’abord l’habitat – avec tous ses sous-systèmes y afférents : déchets, énergies, alimentation en eau, etc. – puis le jardin, basse-cour, verger, céréales, forêts avec ses plantes indigènes et sauvages qu’on utilise pour leur bienfaits multiples. Et tout cela, dans une optique préservatrice de la santé de tous ces systèmes pour un cadre de vie florissant, généreux en n’oubliant surtout pas le legs de cette organisation aux générations futures, qui devront agir de même : d’où aussi la nécessité absolue de l’éducation pour la transmission de ces valeurs.
L’agriculture
La base de notre survie est l’agriculture malmenée depuis des générations. Le pratiquant de la permaculture sait que les méthodes culturales dépendent des régions, des climats, des ressources humaines et animales. Cependant, une armature commune existe pour panser et guérir les blessures occasionnées par l’inconsidération des générations passées : pas d’intrants chimiques, pratique du non labour, revaloriser les haies. La source d’inspiration est bien sûr la forêt, écosystème auto-fertile qui comporte moult strates depuis la cime des arbres jusqu’aux profondeurs où voyagent les racines. Ainsi, en milieu tropical est réintroduit une pratique très ancienne : le jardin-forêt, où l’on introduit des plantes utiles dans les forêts.
Le souci primordial du jardinier concerne la pédologie : comment conserver et produire l’humus nécessaire à la fertilité du sol. Dans cette recherche d’un système en boucle auto-fertile, diverses techniques – éprouvées maintenant – sont mises en oeuvre : paillage, buttes, BRF, biodiversité, polyculture, associations culturales et compagnonnage des plantes (exemple des « trois sœurs » des incas : les haricots qui grimpent sur les tiges de maïs tandis que leur ombre favorise la production de courges dont les lianes maintiennent l’humidité du sol), etc. Les fumures ne sont certes pas oubliées ainsi que le compostage où les déchets recyclés deviennent productifs.
La roue de la vie est ainsi retrouvée sans ruptures dans son déroulement.
3) Conclusion
C’est donc ni plus ni moins d’une révolution silencieuse qu’il s’agit : nous connaissons tous le résultat des révolutions violentes : l’Histoire nous le montre : on prend les mêmes et on recommence ! Dans ce concept de permaculture, il y a révolution dans les consciences, clairvoyance sur l’état actuel de notre planète et ce qu’il en adviendra si tout continue comme cela. Cela prendra plusieurs générations peut-être, mais avec l’éducation et la transmission des savoirs, les futures générations ont entre leurs mains la possibilité et le but de redonner à notre Nature sa richesse, sa beauté et sa sérénité qu’elle a eu de tout temps et que 2 siècles de révolution industrielle ont sabotées.
Enfin, il s’agirait de repartir à la découverte des concepts multimillénaires de la Vie, où le végétal, l’animal et le minéral sont approchés par nos consciences avec le souci de comprendre leur richesse. Il faut pour cela décoder leur langage car ces règnes vivent et la vie est inséparable de la conscience, quelque forme qu’elle puisse prendre. Au centre et englobant toutes ces notions, il y a la Terre, Être vivant, changeant, évoluant, toujours patiente et nourricière, qui ne demande que de l’amour pour ouvrir ses secrets au regard de son petit d’homme.
Aimer nos enfants, c’est leur donner le meilleur de ce que notre courte vie puisse produire… en espérant qu’ils ne recommenceront pas les mêmes erreurs.
Farouk Emeric, L’ivre de la vie 07/06/2016
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