• Approche de la Non-violence dans le monde musulman

    Loin d’être un parti politique, l’islam est un message venu au monde porteur d’espoir et prônant entre autres la fraternité et l’égalité entre les humains.

    En islam, seul Allah détient la vérité. C’est d’ailleurs un de ses noms et attribut : El Haqq, la vérité. Les humains ont des perceptions et des représentations de la réalité !

    Que faire devant l’instrumentalisation systématique de cette religion musulmane par les politiques de tous temps et de tous bords pour prendre le pouvoir sur les croyants et les exploiter au nom de Dieu ?

    Si la violence existe, ce n’est pas la faute de la religion qui  est venue éduquer l’espèce adamique vers le Bien. La violence est portée par les humains qui restent capables du bien et du mal, du pire comme du meilleur. Elle est le fait  du déchaînement des égoïsmes et du fanatisme.

    Dans cette actualité de guerres et de terrorisme il est parfois difficile de faire la part des choses entre l’islam politique ou historique pollué par les constructions humaines et l’islam, en tant que foi, celui du croyant lambda, simple musulman qui veut évoluer vers le Bien et s’améliorer dans sa relation aux autres, et partant à Allah !

    Le Coran n’est ni un programme de parti ni un livre de recettes et l’islam n’est la propriété de personne, et encore moins des arabes ou des islamistes ! C’est une  religion universelle qui offre au monde l’espoir et le salut. Elle est faite de rites mais aussi d’une culture et d’un art d’être et de vivre avec des comportements fondé sur le Adab, un code de bienséance. La première injonction coranique est « lis au nom de ton seigneur.. ». « Lire »  signifie  aussi étudier, se former à l’esprit critique et décoder les enjeux politiques afin d’éviter les pièges des manipulateurs du réel !

    Si l’association de ces termes, islam et non-violence, peut paraître incongrue à certains ou susciter une interrogation incrédule, nous croyons en leur adéquation réelle.

    Gandhi faisait volontiers remarquer que la non-violence était aussi vieille que les montagnes. En effet, il n’a pas « inventé » la non-violence. Celle-ci s’enracine dans les plus anciennes religions et philosophies ainsi que  dans les sagesses traditionnelles du patrimoine universel de l’humanité. Gandhi revendique d’ailleurs explicitement l’héritage des grands sages et des prophètes qui l’ont précédé.

    Les ferments de la nonviolence  en islam

    L’ahimsa et satyagraha gandhiennes, devenus en anglais « non violence », et écrits en français en un ou deux mots puis retraduite en arabe en « laa ‘unf », ne donnent pas du tout la même chose dans ces quatre langues.

    Il s’agit là de la disparité des champs sémantiques de chaque langue humaine qui fait référence à chaque fois à des données culturelles  propres à chaque peuple. D’après les savants musulmans, l’injustice qui est considéré comme violence en islam, donc lutter contre l’injustice est assimilé à la lutte contre la violence. Il apparaît donc bien malaisé de traduire le concept de la non-violence un peu trop hâtivement avec son supposé équivalent en arabe « laa ‘Unf ».

    C’est pourquoi dans cet article nous avons relevé quelques unes des valeurs islamiques qui font le creuset d’une non-violence islamique potentielle. Ceci pour dire que le choix de la non violence active existe pour les musulmans.  Faut il rappeler ici que les musulmans font partie de l’espèce humaine et en tant que tels, ils sont comme les chrétiens, les juifs ou les athées traversés par des clivages idéologiques divers : il y a parmi eux « des capitalistes, des fascistes, des anarchistes, des socialistes et des HTM », comme on dit en Algérie: Hicha talba maicha :  » une petite herbe qui demeure juste à vivre » c’est à dire le musulman moyen ou lambda….

    Il y a des musulmans violents, racistes, voleurs ou menteurs comme il y en a d’intègres, affables ou généreux. Il y a parmi des musulmans des noirs, des blancs, des basanés, des délinquants et des honnêtes gens. Dans nombre de pays dit musulmans des militaires et des policiers musulmans répriment sauvagement et torturent d’autres musulmans dans les commissariats et  les officines secrètes…Ce qui a fait dire dans les années 70, à certains frères musulmans torturés par d’autres égyptiens musulmans « ces bourreaux ne sont pas des musulmans; ils sont hors de l’islam! » C’est un peu naïf! Comme si le fait d’être musulman transforme l’être humain en ange, c’est une blague!

    Il est faux et injuste d’incriminer l’islam pour les crimes commis par les musulmans.

    Les versets bellicistes sortis du Coran hors de leur contexte sont une imposture. Le patrimoine traditionnel islamique a produit plus de 40 sciences d’études religieuses, dont plu d’une dizaine ne concernent que l’étude de la langue arabe, son histoire, ses grammaires selon l’époque etc. Cette somme de connaissance occultée ou jetée pardessus bord pour une nouvelle exégèse, arbitraire et littéraliste est une honte pour la pensée musulmane et un drame pour l’islam et une tragédie pour le monde. Tant que règne l’ignorance la falsification et l’inversion des valeurs ont de beaux jours devant eux.

    On ne saurait se permettre de traduite un verset – issu d’un contexte précis- comme une injonction dans un nouveau contexte actuel par exemple.

    L’être humain et son penchant intrinsèque à la déformation et au dévoiement des messages apportés par les plus de 100 000 prophètes envoyés par Dieu aux diverses humanités et ses groupes, est tout à fait capable de défendre une chose et son contraire. Son naffs, cette partie égoïste perverse et cruelle, est son principal ennemi. C’est contre cette part de soi égotique que doit se mener le grand djihad, ce grand combat de toute vie.

    Nous faisons le choix de privilégier ce combat contre les égoïsmes en soi, et le choix de la non-violence dans notre vie en général. Et pour montrer comment ce choix est possible pour des musulmans nous allons donner un petit aperçu des valeurs qui animent notre foi.

    Ces valeurs qui sont les ferments de la nonviolence s’ancrent dans le terreau islamique fondamental tel que définit  par les sciences islamiques traditionnelles: le Coran, La Sirah ou vie du Prophèt et les hadiths, c’est-à-dire les paroles ou aphorismes du Prophète Mouhammad (saws).

    Dans l’Islam

    Le terme Islam est souvent traduit en français par l’idée de soumission, dans le sens de se soumettre à dieu. Si elle est correcte, cette signification a subi un glissement sémantique pernicieux vers le sens de soumission et obéissance à l’autorité quel qu’elle soit et surtout politique. Dans notre monde patriarcal, l’autorité est celle des dominants, ceux qui ont la force soit physique soit militaire.

    Du coup on impose la soumission des femmes aux hommes, des enfants aux parents, des pauvres aux riches et des savants aux  politiques et  militaires.

    In fine c’est la loi du plus fort qui règne alors que la révélation islamique apporte la prééminence de la justice et l’usage de la raison en opposition à la loi de la force brute du patriarcat. Mais les mentalités patriarcalisées sont si bien ancrées depuis des millénaires qu’elles ont perverti la signification du message prophétique.

    Est-ce un hasard si on a systématiquement assassiné la plupart des descendants du prophète sur des générations et des siècles ?

    Alors que tous les musulmans sans exception professent le respect et l’amour du prophète.

    Comment comprendre ce paradoxe ? Et il y en a tant d’autres…

    La salutation

    La posture islamique recommande et valorise la paix. Le verset coranique « La paix est meilleure » (sourate 4/ verset 128) constituait la base de l’enseignement du prophète.

    Islam a la même racine trilitère lexicale – S.L.M.- que  salam qui veut dire la paix. Certains exégètes musulmans traduisent le mot islam par celui de paix en français. Le mot Muslim-musulman dérive aussi de Salâm, donc on devrait traduire le terme musulman de mouslim par le « pacifique », ce qui est exactement l’inverse de l’opinion que l’on actuellement sur le musulman !

    Salam est un terme qui est cité 136 fois dans le coran. La paix est invoqué dans la prière en ces termes : « Seigneur tu es la paix; de toi émane la paix; vers toi est la paix; Seigneur fait nous vivre dans la paix ! Donne-nous accès au paradis, demeure de la paix … ».  Et ce verset proclame la sainteté de la paix qui servira de salutations aux élus de la vie future et où ils n’entendront que : « paix » (19/62). D’ailleurs, paix (as-Salam) est l’un des 99 Noms d’Allah. Pour activer cet attribut divin en soi, les musulmans se doivent d’être pacifiques.

    En principe, le but de l’islam  est de faire de ce monde un lieu où règne la paix, où toutes les créatures sont protégées.

    Le Coran décrit la demeure éternelle des croyants dans l’au-delà comme étant le dar as-salam, demeure de paix à laquelle Dieu invite les gens. (10/25) Les habitants du Paradis se saluent en disant « Paix ! » ou Salam ! (10/10)

    Le comportement du musulman, dés l’approche de l’autre est fondée sur la paix. La salutation islamique de rigueur est « Assalamaleikoum », que la paix soit sur toi ou sur vous. On salue l’autre qu’il soit musulman ou non, en lui souhaitant la Paix. Lors d’une rencontre ou de l’entrée dans un lieu connu ou inconnu, la formule est: « que la Paix sois sur toi ou sur vous ».

    Le terme «paix» est central dans la vie du musulman pieux ou non. La paix est le projet et le but auquel on est censé arriver ne serait-ce qu’au niveau intérieur. L’idéal étant d’atteindre un état interne pacifié, à partir duquel on pourra rayonner sur  sa famille, son entourage et partant sur le monde extérieur. En attendant d’atteindre cet état, auquel il œuvre à travers son djihad Ounafs, il souhaite aux autres et se souhaite la Paix…

    La prière

    La vie du musulman se doit d’être articulée sur des temps de prière. Il y a les 5 prières quotidiennes obligatoires et beaucoup d’autres surérogatoires ! Plus que quelques génuflexions, ou exercices corporels, la çallate-prière est un moment de paix dans le déroulement de la journée. C’est l’intrusion d’une bulle de sacré dans notre monde profane ! Pendant quelques minutes, 5 fois par jour, le tapis de prière nous emporte dans la dimension spirituelle de l’existence et ce, quelque soit notre activité au foyer, dans un bureau ou sur un chantier de construction. La mère de famille doit délaisser la vaisselle à faire, le programmeur ou l’ouvrier oublient l’ordinateur ou le marteau pour aller se reconnecter au divin. C’est un moment de paix nécessaire pour se laisser féconder par la parole de Dieu.

    Des instants volés au Chronos[1]insatiable qui inlassablement mange tout le temps qui passe. Idéalement le tumulte du mental et les préoccupations devraient disparaitre, se taire et nous laisser en paix pour se relier au divin dans le silence intérieur. Le devoir du musulman n’est il pas de rayonner cette paix perçue et ressentie à l’intérieur de lui en parole et en acte  dans le monde ?

    Le dépôt, la Amana

    Le mot Mûmin en arabe – traduit généralement par croyant – dérive de la racine Amn qui veut dire sécurité et paix. Une Amana, en arabe signifie aussi un dépôt fait en confiance. Cela consiste à confier une chose à quelqu’un, à terme, sans témoins ni preuve écrite, afin de revenir la reprendre, à terme échu, sans que la chose, objet du dépôt ne soit sciemment altérée, diminuée, dénaturée ou perdue.  Le dépositaire devra la restituer, le moment venu, à la demande de l’ayant-droit. S’il existe entre les deux parties une preuve écrite, cela devient un dépôt sur preuve; et s’il y a des témoins, c’est un dépôt sur témoignage.

    La chose laissée en dépôt à un musulman relève de la sacralité et nul croyant pratiquant digne de ce nom ne saurait déroger et se l’approprier ! Ce terme repris dans le coran désigne selon les divers exégètes, entre autres : le dépôt de la vie, de la liberté du choix de faire le bien ou le mal ou le dépôt de la foi.

    Il est dit dans le Coran  « En vérité, nous avons proposé le dépôt aux Cieux, à la terre et aux montagnes, mais tous refusèrent d’en assumer la responsabilité et en furent effrayés, alors que l’homme, par comble d’ignorance et d’iniquité s’en est chargé. »16.

    Ainsi donc, l’humain téméraire a accepté de recevoir en dépôt : la foi. C’est une chose précieuse dont il doit prendre soin avec amour et respect avant de retourner vers son créateur et lui rendre ce dépôt. La foi va lui apporter la paix et la sécurité de l’âme qui feront de lui un homme pacifique, bon, juste. Pour Jawdat Saïd, dans sa lettre à Jean Marie Muller, si l’homme, ne veille pas sur ce dépôt  de la foi, cette Amana, et s’il le néglige, il devient injuste et ignorant selon la conception coranique.

    La liberté de conscience

    Comme on l’a vu, en islam on ne parle pas de violence mais d’injustice. Celui qui est injuste commet des violences à l’encontre d’autrui, ce qui fait de l’injustice non seulement un synonyme de violence mais aussi la mère de toutes les oppressions. Et quoi de plus oppressif que d’obliger un non croyant à embrasser une religion ou un chrétien à embrasser l’islam ! La liberté de confession est bien garantie en islam nonobstant les appels infâmes à trucider les apostats musulmans. Ceux qui rapportent les hadiths validant le meurtre de l’apostat, oublient de raconter leurs contextes.

    Du temps des compagnons du prophète (saws) plusieurs personnes avaient embrassé l’islam puis étaient retournées à leurs idoles, cela était permis, il n’y au aucune mesure de rétorsion.

    Les hadiths qu’on rapporte décrétant la mort pour apostasie étaient en lien avec le contexte particuliers de la guerre et de l’espionnite aigue y afférent. Il y eut, dit on, des  personnes qui avaient fait semblant d’entrer dans la nouvelle religion puis s’en étaient retournées rapporter des informations sensibles aux clans ennemis. C’étaient des espions. Toutes les périodes foisonnent d’histoires d’espions assassinés ou qui disparaissent sans laisser de traces. Ce qui est valable pour un espion ne l’est pas pour un humain lambda, l’apostasie est un droit.

    Si Dieu l’avait voulu, il nous aurait tous créés croyants, aimants et l’adorant Lui seul et pas les idoles que sont l’argent, le shopping, le pouvoir, la musique ou la science sans conscience…

    Il a créé la diversité tant dans la faune que dans la flore ainsi que dans l’humanité toute entière.  Dans le verset (2/256) Allah dit « Pas de contrainte en religion! La vérité se distingue de l’erreur… »  Attabari[2] qui se réfère à Ibn Abbas rapporte qu’un auxiliaire musulman du nom de Husayn avait deux fils qui refusèrent de se convertir à l’islam. Il essaya par divers moyens de les faire changer d’avis mais ses tentatives furent vaines.  Il eut beau exercer toute son autorité, rien n’y fit. Les deux fils allèrent se plaindre au Prophète (saws). Et c’est à cette occasion que fut révélé ce verset. Le père dut laisser ses fils agir comme ils l’entendaient c’est à dire sans contrainte. On ne saurait exercer une contrainte quelconque sur une personne pour lui faire changer de religion et se convertir à l’islam. La foi est une soumission libre, volontaire, acceptée, prononcée avec la langue mais approuvée par le cœur qui donne son acquiescement total et profond.

    Le refus de l’injustice.

    L’islam  est d’abord une religion de la justice qui prône le juste et interdit l’injuste. Un des 99 noms d’Allah est le juste-Al Adil.  « Dieu ordonne la justice, la bienfaisance et l’assistance aux proches. Il interdit les actes immoraux, les actes réprouvés ainsi que de voler les droits des autres. » (16/90). C’est une valeur qui devrait être fondatrice des états qui se déclarent musulmans. Ce qui n’est pas le cas du tout. Une législation qui se targue d’islamique devrait appliquer les principes de la justice dans la charia[3]. Et les injustes et les oppresseurs sont réprouvés, honnis et ils seront punis en enfer après leur trépas. Maqal ibn Yasar rapporte que le prophète (saws) a dit : « tout homme à qui dieu a confié la gestion des intérêts d’un groupe, s’il meurt alors qu’il trompe ses administrés, dieu lui interdit le paradis.»

    Le Coran affirme dans plusieurs sourates: « Allah n’aime pas les injustes…» En effet la charia interdit l’exploitation, l’oppression ainsi que toute forme d’injustice quelles qu’en soient les causes. « La noble cause qui puisse exister est de faire stopper l’injustice et la violence. Il est honteux que les humains s’entretuent entre eux, déclare Jawdat Saïd, à l’aube du 21ème siècle. » La jurisprudence islamique en la matière est très précise, toutes les règles de la charia devraient être  prises dans le cadre islamique, en fonction des grands principes édictés par le Coran : la Vérité, la justice et l’Équité.

    Dans les relations

    La paix est  non seulement, centrale en islam mais elle est aussi le fondement des relations humaines. Le respect et la bienveillance sont pré requis à toute prise de contact avec les autres humains. Et il vaut mieux se taire que de dire des choses qui pourraient faire de la peine inutilement. Nos relations doivent être pacifiées favoriser l’entraide ou à tout le moins la non nuisance.  Il nous est demandé de contrôler les émotions telles la colère qui peuvent générer des problèmes avec les autres. Il est dit dans le Coran qu’il y a une préférence pour : « ceux qui refoulent leur colère et qui pardonnent et Dieu aime les gens de bien. »(3/134) Le Coran dit par ailleurs : « O vous croyants prenez toutes les voies de la paix. Et ne suivez pas les voies du diable, car c’est votre ennemi juré. » Il y a une vingtaine de versets de ce type dans le même chapitre 2 du Coran. D’après Abou Dharr  le Messager d’Allah (saws) lui a dit : « Crains Allah où que tu sois, fais suivre la mauvaise action par une bonne afin de l’effacer, et comporte toi bien avec les gens. [4]».

    La patience 

    Allah déclare dans le Coran : « Dieu ne change pas la situation des individus tant que ceux-ci n’auront pas fourni la volonté et l’effort nécessaires à ce changement…» (13/11) Cela signifie que Dieu ne change pas une situation sans que la personne ou le peuple ne se change lui-même en faisant des efforts dans le sens du Bien. Autrement dit, le changement collectif ne peut advenir que suite à un changement individuel!

    L’évolution globale vers le Bien et la Paix ne peut régner au niveau universel que lorsque l’individu sera arrivé à installer cette paix en lui et à l’incarner dans ses bonnes actions. D’où encore une fois  l’importance du grand djihad et du travail sur soi.  On comprend bien ici, que le changement commence par soi, en tant qu’individu avant de se distiller dans la communauté. Ce qui est parfois difficile à accepter car cela veut dire : changer  ses habitudes, ses croyances, ses opinions parfois erronées.

    Il faut une grande volonté pour changer et s’améliorer. Si chacun fait cela, les changements sont garantis au niveau collectif. Les musulmans en collaboration avec les autres humains doivent s’unir, s’organiser pour lutter contre l’injustice qui génère le Mal et les violences de toutes sortes. Exit donc, le fatalisme et autres compréhension fallacieuse du « mektoub »[5]. Ce qui est écrit, a été écrit par nos paroles et nos actes posés. L’humain peut écrire d’autres notes sur sa partition de vie et ce faisant opter d’agir pour sa transformation. Ceci rend une grande part de responsabilité aux fils d’Adam On est loin, peu s’en faut, de la dérive fataliste et de la résignation.

    Allah  dit dans le Coran qu’il n’aime pas les injustes, si le choix est la lutte sanglante, nous transgressons Ses lois. S’il nous est permis de nous révolter contre l’injustice ce n’est pas de n’importe quelle manière. Pour ne pas tomber dans le cycle de la violence en causant à d’autres des injustices, il n’y a que des méthodes basées sur la nonviolence.

    En islam, la lutte contre les injustices ne devrait pas engendrer une plus grave injustice. Dans ce  cas, le Coran offre une alternative : la patience et la prière. «Endure ! Ton endurance ne viendra qu’avec l’aide d’Allah. Ne t’afflige pas pour eux. Et ne sois pas angoissé à cause de leur complot. Certes Allah est avec ceux qui L’ont craint avec piété et ceux qui sont bienfaisants.» (16/127 et 128) La patience est une vertu hautement valorisée dans la culture islamique et que Maulana Wahiouddine Khan[6] estime, à juste titre très proche de la notion de non-violence.

    La patience, Sabr du verbe arabe Sabara signifie également : endurer, supporter, résister, persister et aussi s’abstenir de,  renoncer. Sabr englobe non seulement la patience mais aussi l’endurance, la constance, la maîtrise de soi, la résistance.

    Nous avons dans le champ sémantique de ce mot et ses multiples significations potentielles en arabe toutes les vertus requises pour un activiste de la nonviolence !

    En dépit de la pression constante de certains de ses Compagnons, pendant très longtemps, le Prophète n’autorisa pas ses fidèles à faire usage de la force et à pratiquer des représailles. Au contraire, il leur demandait d’être patients vis-à-vis de cette persécution. D’après Ibn Abbas le prophète a dit à Al Achajj[7] « tu possèdes deux vertus qui sont aimables à dieu et à son messager; ce sont l’indulgence et la patience.»

    Si les musulmans sont pris en raillerie et persécutés par des oppresseurs, ils doivent se montrer patients et ils recevront une récompense pour leur patience. (23/107-111). Les récompenses de ces personnes sont fonctions de leur patience et de leur fermeté, et le verset coranique assure : « Dieu est avec les patients ».

    Il faut beaucoup de patience pour être obéissant envers Dieu et pour être bon et aimable en toutes les circonstances. Il faut bien de la patience pour ravaler sa colère et apprendre à contrôler ses émotions. Il en faut également pour supporter les épreuves de la vie, l’oppression et la répression d’un régime injuste voire l’emprisonnement pour une divergence d’opinion ou une désobéissance civile ou l’objection de conscience. La patience doit être envisagée comme une qualité nécessaire à toute résistance active. Et au vu de son champ lexical vu plus haut, on peut constater que la non-violence devrait être de rigueur dans la résistance en islam. Le Prophète a dit: « La meilleure action est la parole de vérité prononcée face à un roi despotique ».

    Pouvoir s’exprimer avec fermeté et assertivité face à un despote, un tyran, un dominant aussi arrogant soit-il et lui dire la vérité c’est-à-dire, énoncer ses exactions et plaider pour la justice est le type de résistance non-violente auquel nous convie le prophète (swas). Cette parole qui peut faire office de programme d’une non-violence islamique est soutenue par ce verset 96 de la sourate 23 « Repousse le mal par ce qui est meilleur. »

    Dénoncer le mal ne peut en aucun se faire avec les mêmes armes ou moyens sinon cela nous rabaisse à son niveau. En optant pour agir pour le bien en repoussant la mal par ce qui est meilleur on change de registre et de nature. On se met sur un autre mode de fonctionnement physique et on change aussi de niveau et de mode vibratoire au niveau plus subtil. Avec la patience, le refus de toutes insultes et disqualifications de l’Autre on sort du champ vibratoire des énergies qui poussent à la violence. Évidemment on peut subir les coups et les insultes des autres qui peuvent même nous tuer mais c’est le risque que prend l’âme courageuse qui s’investit dans le Sabr ou chemin de la non-violence et de l’Amour d’Allah.

    Car c’est cet amour qui nous fera faire du bien à autrui sans attentes de récompenses ou de remerciements ; c’est grâce à cet amour que l’on va persister à honorer la vérité, recommander le bien et désavouer l’injustice face aux tyrans ou au tortionnaire.

    Ainsi donc, juste acquérir cette vertu de sabr, fondamentale en islam peut nous demander toute une vie. Combien de musulmans peuvent se targuer d’avoir cette vertu ? Très peu au demeurant et j’avoue ne pas faire partie du lot à mon grand regret!

    La Patience-Sabr, pourrait à elle seule, démontrer la non-violence islamique. Et sa plaidoirie jetterait à bas toutes les théories foireuses qui animent les tueurs en séries au nom d’Allah !

     

    La communication efficace

    En termes de CNV, communication non violente, Marshal Rosenberg, aurait bien pu s’inspirer d’un prophète comme Moussa-Moïse. En effet, le Coran présente les bases d’une communication respectueuse d’autrui avec le récit biblique de Sidna Moussa. Quand Dieu demanda à Moïse et à Aaron de transmettre Son message à Pharaon : Allah dit «  Allez vers pharaon il s’est vraiment rebellé. » (43)

    Puis le verset coranique (44) dit: « Parlez-lui dans un langage doux. Peut être se rappellera-t-il et me craindra t-il ? Ils dirent « ô notre Seigneur, nous craignons qu’il ne nous maltraite indûment, ou qu’il ne dépasse les limites. » (Verset 45) Il dit : «Ne craignez rien, Je suis avec vous, J’entends et Je vois. » (Verset 46)

    Un tel accent et une telle insistance portés sur la nécessite d’un langage doux, non violent, même face à un tyran comme Pharaon laisse rêveur quand on voit comment parlent aujourd’hui, certains prêcheurs plein de haine, de rage et de colère.

    Ce verset nous offre la démonstration on ne peut plus claire de  l’importance accordée à une communication nonviolente dans les enseignements coraniques! Cette communication doit partir d’un cœur qui à défaut d’être aimant, devrait s’apaiser avant de parler.

    Tout comme le préconise ce verset: « Repousse le mal par ce qui est meilleur. »(23/96) « Par la sagesse et la bonne exhortation appelle les gens au sentier de ton Seigneur. Et discute avec eux de la meilleure des façons. Car c’est ton seigneur qui connaît mieux celui qui s’égare de Son sentier et c’est Lui qui connaît le mieux ceux qui sont bien guidés » (16/125)

    C’est là, encore une injonction divine à surveiller son langage ainsi que la façon et la manière de parler à l’autre sans le heurter ni le blesser. Il est possible de parler à autrui sans lui  lancer des jugements ou des noms d’oiseaux à la figure  mais tout en lui rappelant les faits fermeté.

    Enoncer voire dénoncer  des faits  malveillants peut se faire sans s’attaquer à la personne dans son intégrité, sans se moquer ou dénigrer sa famille ou son ascendance.

    Ce sont là, des attitudes fondamentales de la non-violence active : dire les faits, ne pas juger la personne fut elle pharaon, symbole du dictateur et du despote. Ne pas accepter les injustices, comme Gandhi qui lors des manifestations antiapartheid en Afrique du Sud, continuait à déchirer les papiers discriminants les indiens par rapports aux blancs tout en supportant sans riposter les coups de matraques des policiers.

    Le Prophète Mohammed (saws)  définit le musulman comme «  celui dont les autres sont à l’abri du mal pouvant venir de sa langue et de ses mains »[8]

    Selon cette parole le musulman se doit d’être d’une rectitude et d’une droiture morale qui transparait dans sa façon de parler et de communiquer.  Ses paroles ne devraient pas causer de tort, de peine ou du chagrin à autrui. Dans ses relations, il ne lui est pas permis de dire du mal d’autrui ni de s’attaquer à l’être de la personne dans la dénonciation du mal.  Cela ne peut se faire qu’en apprenant à démêler les faits des jugements.

    Un fait est une observation, une description limite scientifique de l’événement sans les colorations émotionnelles qu’il a pu déclencher en soi. Les émotions que sont la colère, l’agacement, la frustration ou la déception voire la joie sont comme des couleurs qui vont voiler les actes les actes et parasiter  nos jugements.

    Une communication islamique, digne de ce nom, devrait se faire à partir du cœur et  être capable de tenir compte des  couleurs émotionnelles sans les laisser interférer. On ne devrait juger que et évaluer que les actes d’une personne et non son être.

    La communication islamique authentique doit être sincère et  bienveillante.

    Rien à voir avec ce qui a trop souvent a court dans nos familles, malheureusement, et toutes  les sortes de manipulations affectives possibles qu’on y subit! Le musulman  se doit d’éviter la médisance et de colporter des ragots et des méchancetés.  Ce que vient corroborer la célèbre parole suivante du Prophète (saws): « Lâ Dharar wa lâ Dhrâr », qui peut être traduit par « ne pas faire de mal et être à l’abri du mal ».

    El Mahaba ou l’Amour.

    Le fait  que l’Amour est au cœur de l’islam se base sur un verset coranique qui dit qu’Allah va créer en l’espèce adamique des êtres qu’il aimera et qui l’aimeront. Dés l’origine, cet amour du créateur pour ses créatures s’inscrit dans leur relation directe et intime. Comme est direct et intime le moment de la prière.

    L’amour se pose dans une dynamique de réciprocité ou la présence du divin s’exprime dans tout son élan amoureux.

    Les soufis ont approfondi l’exploration de cet Amour dans l’océan de leurs productions tant poétiques et littéraires que théologiques et spirituelles en basant leurs méditations sur le coran et les hadiths. Il n’en demeure pas moins que cet héritage d’amour a aussi été porté par tous les musulmans dont les plus orthodoxes, tel le savant Al Ghazali[9], qui dans un de ses livres disserte sur toutes les raisons que nous avons d’aimer ce qui est beau, ce qui nous fait du bien, ce que l’on désire.

    Il démontre que toutes ces raisons d’aimer se retrouvent dans l’Amour d’ Allah, et c’est pour cela que nous devons l’adorer. « L’amour le plus indispensable, le plus élevé et le plus sublime est l’amour de Celui pour qui les cœurs s’inclinent naturellement d’amour, que les créatures aspirent spontanément à adorer. Allah est adoré pour Lui même sous tous les rapports tandis qu’autrui n’est aimé qu’accessoirement par rapport à Son amour. En effet, Son amour est attesté par tous Ses livres révélés, par l’appel de tous Ses envoyés, par la disposition originelle et l’intelligence qu’Il a placé en Ses créatures, et par Ses Bienfaits en leur faveur.

     En fait, si les cœurs s’inclinent en général à aimer leur bienfaiteur, qu’en est-il de Celui qui est le Dispensateur suprême de toute faveur ? Si les cœurs s’inclinent vers l’amour de toute chose belle, qu’en est-il de Celui qui a créé la beauté » Al Ghazali.

    Par ailleurs, et dés l’année 400 de l’Hégire, Ibn Al Kayim, disciple d’Ibn Taymyia, explique dans son livre « le Jardin des soupirants[10] » que la création est un acte d’amour d’Allah. Si l’on admet avec Ibn `Arabi[11] que l’amour en tant que pure aspiration n’est pas définissable, nous pouvons considérer les racines de ces mots qui évoquent l’amour en arabe comme des paraboles. « L’arabe, langue vivante mais gardant le souvenir de ses origines archaïques, enrichit notre débat – par les jeux d’étymologie et la richesse lexicale – d’un apport inestimable ! Chacune de ses nuances montre une facette d’un acte réciproque entre Dieu et l’être humain ou accompli par l’un des deux en direction de l’autre. »[12]

    Il y a dans la langue arabe pas moins d’une trentaine de racines verbales qui connotent l’idée d’aimer ! Cette présence si forte de l’amour dans les fondamentaux de l’islam ne peut que constituer pour nous un fort ancrage de la non-violence.

    On ne peut parler de l’amour en islam sans citer Maoulana Djalal Ouddine Roumi[13] « Que faire, ô musulmans ? Car je ne me connais pas moi-même. Je ne suis ni chrétien, ni juif, ni guèbre, ni musulman; je ne suis ni d’Orient, ni d’Occident…Je ne suis pas de terre, ni d’eau, ni d’air, ni de feu …Je ne suis pas de ce monde , ni de l’autre, ni du paradis ni de l’enfer, je ne suis ni d’Adam, ni d’Eve…Ma place est d’être sans place, ma trace est d’être sans trace; je n’ai ni corps ni âme, car j’appartiens à l’âme du Bien-Aimé…Un seul je cherche, Un seul je sais, Un seul je vois, Un seul j’appelle. Il est le Premier, Il est le Dernier, Il est le Manifeste, Il est le Caché …Je suis enivré de la coupe de l’amour, je n’ai que faire des deux mondes ; je n’ai d’autre fin que l’ivresse et l’extase. »

    Le pardon

    Le prophète Mohammed (saws) était longanime, magnanime, enclin au pardon ! « Pardonne de la belle manière » répète le coran (15/85) « qu’ils pardonnent et qu’ils tournent la page

    Le Prophète (saws) nous a montré le chemin vers le Paradis en nous disant: « Donne à celui qui t’a privé de quelque chose, renoue (maintient le lien) avec celui qui a rompu avec toi et pardonne à celui qui a été injuste envers toi. » Rapporté par Al-bazzâr, At-tabarânî et Al-hâkim. Dieu dit, dans le Coran : « Qu’ils pardonnent et se montrent indulgents.  Ne souhaitez-vous pas vous-mêmes que Dieu vous pardonne?  Dieu est Pardonneur et Miséricordieux. » (Coran 24/22)

    Allah dit aussi : «Défends toi par ce qu’il y a de plus beau; alors celui avec qui tu étais en inimitié deviendra comme s’il était ami chaleureux » (41/ 34).

    «Et pour ceux qui, atteints par la rébellion, se portent secours à eux mêmes, car un mal a pour paiement un mal, son pareil. Mais quiconque pardonne et réforme, son salaire alors est à Dieu. » Sourate (43 / 39-40). Mais attention, pardonner ne veut pas dire oublier, le pardon quand il advient, après le temps de maturation indispensable, est un acte libérateur.

    Il libère la victime d’un lien subtil dans les mondes invisibles. Ce qui permet de couper réellement la relation toxique.  La personne coupable aura à porter le poids de ses actes malfaisant devant Dieu le jour du jugement.

    par Aïda Abida

    [1] Dans la mythologie grecque, Chronos  est un dieu primordial personnifiant le Temps et la Destinée

    [2] Tabari historien et exégète du Coran né en 839 et mort en 923

    [3] Charia, ensemble de règles et de lois régissant la vie des humains en société ; la charia va diverger selon les sociétés.

    [4]  In At Tirmidhi

    [5]  Ce qui est écrit advient ou c’était écrit.

    [6] Fondateur du centre pour la paix et la spiritualité à New delhi

    [7] In Mouslim

    [8]Al-Bukhari, Livre II Croyance), Hadith no. 10.

    [9] Abou Ahmad Al Ghazali dans son chapitre El Mahaba du livre Ihyia Ouloum Eddine.

    [10] Rawdat El Mouhibne oua Nouzhatou Al Mouchtakine.

    [11] Traité de l’Amour de Muhyi-d-dîn Ibn ’Arabi  andalou musulman, plus connu sous son seul nom de Ibn ’Arabi , né 1165, à Murcie, mort  1240 Damas. Également appelé « ach-Cheikh al-Akbar »  le plus grand maître, en arabe

    [12] Article de Khaled Roumo, Les facettes infinies de l’amour en islam

    [13] Jalal Udin Roumi ou Jalâl al-dîn al-Rûmî (1207- 1273), est le plus grand poète mystique de langue persane. Dans ses poèmes, il explique le mysticisme à la lumière de sa propre expérience et exprime un amour universel