• Des témoins musulmans de la non-violence

     

    Le panthéon  mondial de la non-violence brille surtout du nom de Gandhi, bien sûr, le référent tutélaire. Puis viennent les noms de personnes originaires de l’occident chrétien que cela soit  Martin Luther King ou  Lanza Del Vasto comme pères fondateurs. Le bouddhisme suit comme générateur potentiel d’une pratique de la nonviolence. Mais nul n’irait supposer qu’il puisse y avoir des musulmans qui pratiquent la non-violence.

    Depuis quelques décennies des musulmans barbus, en treillis militaire ou en quamis sont mis au devant de la scène médiatique et politique. Ils brillent plus par leurs vociférations violentes et leurs bras armés, voire par de sanglantes vidéos de mises à mort.

    Pourtant, ils sont des millions, les musulmans dont la piété la douceur de caractère fait le quotidien de la planète : en Malaisie, Inde, Afrique et en Europe, ils vivent depuis des siècles en paix et en bonne intelligence avec leurs voisins musulmans ou non.

    Dans l’imaginaire collectif comme dans les travaux spécialisés sur la nonviolence, aucune  trace de noms musulmans. Pourtant, ils existent. Penseurs, écrivain, savants islamiques et hommes d’action, ils ont profondément influencé leur environnement, voire leur société même si dans le monde musulman ils n’ont pas toujours eu la reconnaissance de l’ordre établi qu’il soit politique ou religieux. Tous passeront par la prison, comme beaucoup d’autres savants musulmans avant eux qui avaient osé émettre une opinion disidente par rapport aux gouverneurs, calife, sultan et autre gouvernants. Loin de moi, ici  la prétention de donner un état des lieux exhaustif sur tous les pratiquants de la nonviolence en islam.

    Je vais juste citer quelques musulmans qui, à un niveau ou un autre, se sont intéressés à la nonviolence ou en ont fait la promotion, soit au niveau de leurs  réflexions ou dans leurs pratique.

    Ils sont plus nombreux que l’on ne le croit, on ne leur donne pas la parole dans les médias, on les tue, on les emprisonne, on les diffame et déforme leur écrits et positions, on occulte ou efface leurs traces dans notre histoire. Mais depuis des générations leurs voix  fécondent  notre conscience collective et nous  tracent  la voie de sortie de la violence, un  passage  que foulent de plus en plus d’hommes et de femmes anonymes fort de leur foi et d’une éthique islamique !

    Badi’Uzzaman Saïd Nursi, le Prodige du Temps

    Said Nursi, surnommé Bediuzzaman, c’est-à-dire le Prodige du Temps, est né en 1877 dans le Sud-est de la Turquie. Il est mort en 1960 à Urfa. Prisonnier de guerre, sur le front caucasien en mars 1916. Il réussit à s’échapper début de 1918, et rentre à Istanbul en passant par Varsovie, Berlin, et Vienne.

    De cette expérience de guerre il deviendra dans sa pratique sociale un fervent adepte de la nonviolence.

     

    Il a connu la fin de l’empire ottoman, l’avènement de la république Turque, la première et la seconde guerre mondiale et  les vingt-cinq années de règne du Parti Républicain du Peuple,  connu pour ses mesures contre l’islam en Turquie.

    A l’âge de neuf ans, il partit au village de Tag, à la madrassa de Mollah Mehmed Emin Effendi, très intelligent, Saïd apprenait très vite.

    Grâce à sa mémoire prodigieuse il apprenait en très peu de temps ce que les autres étudiants mettaient des années à atteindre. Said Nursi étudia aussi à Dar al-Hikmat al-islamiyya, l’académie des sciences de l’islam.

    Il avait lu et appris par coeur Suyûti, Mollah Jamî et beaucoup d’autres livres. Mollah Fethullah fut étonné car chaque fois qu’il lui demandait s’il avait lu tel livre, il obtenait la même réponse : «  je l’ai lu ». Il ne comprenait pas comment Said avait pu  lire autant de livres en si peu de temps. Said Nursi apprit par cœur, dit on, en une semaine un livre de 362 pages tel  Jama’al Jawami, un livre de fiqh dont l’auteur est l’imam Subki, un savants Shafi’i. Mollah Fethullah ajouta : «  La mémoire et l’intelligence ne se regroupent pas dans une personne a un tel degré »

    Il fit son éloge auprès des savants  et le  compara à Badi-uz-zaman Al Hamdânî, un savant musulman du 3eme siècle à la mémoire prodigieuse. Il obtint le Ijazat ou diplôme d’enseignement à l’âge de 14 ans.

    Ecrivain, penseur, savant musulman, son œuvre magistrale – « Rissalat Ennour » – constituera la base d’un véritable mouvement de société en Turquie. Son exégèse  du Coran est un ouvrage fleuve qui fait prés de 6000 pages! Cette œuvre va nourrir des générations de turcs. Nursi passe pour l’un des rénovateurs –moujaddid de l’islam.

    Il conceptualisa son  idée d’activisme non violent avec l’expression « l’action positive » . Menacé et persécuté par ses détracteurs, Nursi  refusait de leur rendre la pareille et demanda  à ses disciples de renoncer à toute vengeance. Les disciples de Saîd Nursi  s’appelaient  « les fonctionnaires de sécurité bénévoles ».

    De 1926 à 1960, Nursi et ses partisans furent souvent emprisonnés. Malgré cela on ne trouve aucune prédication de haine dans ses écrits. En disant que l’épée matérielle ne doit pas être utilisée, Nursi présente la vérité coranique comme une épée en diamant étincelante qui annule l’épée matérielle.

    « Chers frères ! Si je finis par être assassiné par mes opposants, par égard pour les innocents et les vieillards, je vous demande de ne pas me venger. Le châtiment de la tombe et de l’Enfer leur suffira» écrit-il. Said Nursi a choisi  la non-violence dans les principes théologiques et éthiques de l’islam. Il assimilait la politique au pouvoir et répétait souvent que lui et ses élèves n’avaient aucune intention de s’engager politiquement en raison des risques d’usage de la force.

    Le service et la lumière

    Nursi avait dit: « Nous n’avons pas la massue de la politique entre les mains. Nos deux mains tiennent la lumière (nur). Quand bien même nous avions cent mains, elles ne tiendraient rien d’autre que la lumière. »  Dans ses enseignements, la lumière symbolise la paix, l’harmonie, l’intelligence et tout ce qui est positif. Pour lui, personne ne devrait s’opposer à la lumière puisqu’elle profite à tout le monde. Dans ses enseignements, l’amour et la haine ne peuvent pas se trouver en même temps dans le même cœur.

    Il dit: « Nous nous sommes sacrifiés pour l’amour. Il n’y a pas de place dans nos cœurs pour la haine.  Chers Frères, notre devoir est de nous engager dans l’action positive et non pas négative, et ce, afin de servir la religion selon ce qu’il plaît à Dieu. Nous n’avons pas à nous mêler des œuvres de Dieu. Nous devons répondre avec patience et gratitude à toutes les difficultés auxquelles nous sommes confrontés lors de notre service pour la foi. Un tel service protégera la société du désordre. » 

    Pour expliquer l’importance de la solidarité dans la société, il donne l’exemple des pierres du dôme: « Bien qu’il ne s’agisse que d’une pierre dans un dôme, aussitôt qu’elle sort des mains du maçon, elle obéit en inclinant la tête pour coopérer avec ses amies de sorte que toutes soient protégées contre le danger de tomber. Malheureusement, les humains n’ont pas compris le secret de la coopération dans leur société. Ils devraient au moins tirer une leçon de ces pierres. »

    Nursi avait dit on une imagination débordante pour concevoir des alternatives non violentes tant pour ne pas en causer lui-même que pour ne pas donner l’occasion à ses détracteurs d’user de violences contre lui.

    C’est ainsi qu’il mit au point  « la méthode du silence ». Quand il s’adressait à ses élèves, et que le sujet touchait quelque question politique délicate, il disait: « Il ne m’est pas permis de parler de cela. Maintenant, le silence est nécessaire. »

     Inspiré par le verset coranique « Personne ne portera le fardeau d’autrui », Nursi évitait toute généralisation. Il pratiquait ce principe dans sa relation avec le parti au pouvoir, qui lui en faisait voir de toutes les couleurs!

    Une fois en  Anatolie orientale, plusieurs chefs de tribus kurdes vinrent lui rendre visite en groupe. Ils lui demandèrent sa bénédiction, ou à tout le moins la permission de se révolter contre le nouveau gouvernement établi à Ankara. Ils s’estimaient injustement maltraités et ils voulaient rétablir la loi islamique, la charia.

    Ils se sont adressés à lui comme autorité savante selon la tradition islamique pour qui l’opinion, le point de vue d’un savant est déterminant. Nursi leur expliqua que  leur révolte causerait d’autres injustices de par le fait de réagir par la force et la violence et que la conséquence de ces violences serait une escalade dans la violence. Le risque serait l’instauration d’autres troubles, du chaos et de l’anarchie. Il leur demanda d’abandonner leur plan de guerre s’ils ne voulaient pas s’avilir et causer d’autres injustices. Il préférait la voie du pardon, même pour ceux qui le torturaient.

    Nursi estimait  que les moyens employés pour atteindre une fin juste devaient eux aussi être justes. Pour lui, la voie de la non-violence est la façon la plus sûre d’éviter les moyens vils et illégitimes.

    Il finit par se retirer de la vie politique pour adopter une vie d’ermite.

    Jawdat Saïd, théoricien  de la non-violence  islamique.

    Jawdat Saïd  a du fuir, en 2015 à plus de 80 ans son village bombardé en Syrie, où bon nombre des siens furent tués, pour se réfugier en Turquie.  Trop peu connu dans le monde tant musulman qu’occidental, il a fait des émules parmi des imams et des jeunes activistes de la société civile syrienne. Plusieurs d’entre eux ont été arrêtés, d’autres assassinés ou disparus alors qu’ils n’avaient fait que manifester pacifiquement.

    Ecrivain, activiste nonviolent, Jawdat Said est né en Syrie en1931 dans le village de Beer Ajam.

    Il a fait ses études en 1946 poursuivre à l’université religieuse d’Al-Azhar en  Égypte. Là, Jawdat Saïd avait  bien connu  les freres musulmans. Il avait  déjà attiré leur attention sur les effets négatifs de la violence qu’ils prônaient.

    Selon, Bashar Humeid il aurait écrit son livre comme une réponse directe aux écrits de Sayyid Qutb, le père de l’Islam politique. Jawdat Saïd s’attelle à démontrer par ses écrits la nécessité de la nonviolence. En 1966, il publie son livrequi présente le concept de nonviolence du point de vue islamique.

    A son retour, après de multiples arrestations et assignations, il sera interdit d’enseigner en Syrie à la fin des années 1960. Il retourne dans son village natal et se met à l’agriculture et à l’apiculture : il deviendra paysan philosophe !

    Ses écrits inspirent dans le monde arabe les activistes qui veulent participer à un changement social et politique pacifique. Plusieurs d’entre eux vont payer de leur vie en Syrie leur activisme nonviolent lors des manifestations en 2011 : « des dizaines, voire des centaines de victimes civiles sont tombées dans les bombardements aveugles de Daraya et dans les liquidations qui les ont suivis …Pour mesurer l’ampleur de cette sauvagerie, il faut rappeler que Daraya est le berceau syrien de la non-violence. L’imam local, Abdelakram Saqqa, est un disciple du cheikh Jawdat Saïd, pour qui « la violence, c’est le démon ».

    Durant tout le printemps 2011, les manifestants de Daraya brandissaient des rameaux d’oliviers et scandaient « Silmiyyé, silmiyyé » (Pacifique, pacifique). Le régime syrien a traité Daraya avec sa barbarie coutumière. Le cheikh Saqqa a été embastillé en juillet 2011 et, deux mois plus tard, Ghyath Matar, un pacifiste convaincu de 26 ans, très actif dans le comité local de coordination, est enlevé par les services de renseignement de l’armée de l’Air, la plus redoutable des polices politiques de la galaxie Assad. Son corps, torturé à mort, est livré quelques jours plus tard à sa famille. »

    Les manifestations sont réprimées à Daraya, avec  brutalité. Aux troupes du pouvoir établi se sont rajoutés les hordes de jihadistes sanguinaires qui tuent, violent et détruisent, se comportant en armée d’occupation, infligeant châtiments collectifs et sanctions pour l’exemple.

    Au début des années 1980, les Frères Musulmans de Syrie s’étaient révoltés, en dépit des avertissements de Jawdat Saïd, contre le gouvernement de Hafez al-Asad. Cette révolte fut matée en 1982 par un massacre terrible de ces insurgés dans la ville de Hama.  Jawdat Saïd se place en tant que savant-alim  dans la tradition des réformateurs islamiques tels que Abd al-Rahman al-Kawakibi  et Mohammad Iqbal, le poète et philosophe mystique indien. Son champ d’action intellectuel sera la théorisation de la nonviolence dans le référentiel islamique.

    Jawdat Saïd fonde son concept de la nonviolence sur  la référence des  histoires des différents prophètes du Coran qui n’ont pas usé de violence pour diffuser idées. Il revisite le mythe adamique en collant au plus près du texte coranique. Pour lui, l’usage de la violence est incompatible avec la foi coranique et en user  est satanique. Dans son livre datant de 1988, « Lis! Le Seigneur ton Dieu est Bienveillant« ,  Jawdat  Saïd expose sa vision  d’un Islam exempt de toute violence.

    Abel et Caïn

    Pour  démontrer la nonviolence en islam, Jawdat Saïd, fonde son argumentaire sur le conflit entre les deux fils d’Adam, Abel et Caïn. Pour rappel voici ce que dit le Coran de cette lutte fratricide : «  Et raconte-leur en toute vérité l’histoire des deux fils d’Adam. Les deux offrirent des sacrifices; celui de l’un fut accepté et celui de l’autre ne le fut pas. Celui-ci dit : « Je te tuerai sûrement”. 

    « Allah n’accepte, dit l’autre, que de la part des pieux”. Si tu étends vers moi ta main pour me tuer, moi, je n’étendrai pas vers toi ma main pour te tuer : car je crains Allah, le Seigneur de l’Univers. Je veux que tu partes avec le péché de m’avoir tué et avec ton propre péché : alors tu seras du nombre des gens du Feu. Telle est la récompense des injustes. Son âme l’incita à tuer son frère. Il le tua donc et devint ainsi du nombre des perdants. Puis Allah envoya un corbeau qui se mit à gratter la terre pour lui montrer comment ensevelir le cadavre de son frère. Il dit : “Malheur à moi ! Suis-je incapable d’être, comme ce corbeau, à même d’ensevelir le cadavre de mon frère ? Il devint alors du nombre de ceux que ronge le remords. » ( 5/ 27-31).

    Les deux frères offrirent des sacrifices. Celui d’Abel, Abil en arabe, fut accepté et celui de Caïn, Kabil en arabe, fut refusé. La tradition islamique explique les raisons de cette préférence dans l’agréation de l’offrande.

    Kabil était quelque peu avare et  il avait choisi une brassée de céréales de mauvaise qualité dont il avait mangé le seul bel épi.  Alors qu’Abil avait choisi un agneau bien gras de son troupeau pour l’offrande divine. Dieu agréa l’offrande d’Abil. Kabil, jaloux et vindicatif va tuer son frère aprés l’avoir menacé : «  je te tuerai sûrement ». « Dieu n’accepte, lui répondit Abil, que de la part des pieux. Si tu étends ta main vers moi pour me tuer, moi, je n’étendrai pas vers toi ma main pour te tuer, car je crains Dieu, le seigneur de l’Univers. »(5/27-28). Kabil de son côté, a désobéi à Dieu. Il a été inspiré par Iblis, le maître des djinns.

    L’islam enseigne que celui qui initie un mal portera le fardeau de tous les maux commis après lui. Caïn, premier meurtrier de l’histoire porte le fardeau de tous les crimes venus après lui. Ne sommes nous pas avec la société humaine actuelle, les héritiers de Kabil, l’ancêtre assassin ? Il est le père de notre société perclue de souffrances et de violences de toutes sortes.

    Jawdat Saïd considère Abil comme le modèle de la nonviolence. Il est celui qui en vertu du principe de nonviolence a refusé de tuer.  Même s’il a été tué, Abel-Abil est le vainqueur estime Jawdat Saîd . Dans la Sourate 5, versets (27/31),  le coran explique qu’Abel, qui craignait Dieu avait  refusé de se défendre contre son frère Caïn.  Abel était dans le Juste. Il avait raison. Il a refusé le meurtre. C’est l’homme de l’avenir, celui qui refuse de porter atteinte à la vie d’autrui.

    La nonviolence exprimée par Abel, le fils d’Adam constitue, aux yeux de Saïd, « une position à laquelle doit aspirer l’humanité entière qui doit y adhérer comme l’un des commandements divins. » Profondément confiant en l’humain, il écrit : « De même que l’esclavage, qui était une conséquence de la guerre, a été aboli, la guerre elle-même sera abolie »


     Abdul Ghaffar Khan, l’ami de Gandhi

    Abdul Ghaffar Khan, est un émule de Gandhi.  Il est né à Hastnagar en Utmanea dit-on vers 1890 en Inde.  Il  faisait partie de la famille Mohammadzai, une dynastie pachtoune.

    Nationaliste, il s’est fait connaître par son opposition nonviolente à la domination britannique dans le sous continent indien. C’était un homme politique nationaliste, un pacifiste et un musulman fervent. Très tôt Abdul Ghaffar Khan comprit que la culture tribale des guerriers pathans basée sur la violence était autodestructrice à long terme.

    Il va s’atteler à l’éducation populaire tout en s’inspirant des  enseignements pacifiques du  Prophète Mouhammad (saws) pour promouvoir des moyens de lutte non violents contre l’empire britannique.

    Ce guerrier pacifique s’est non seulement battu pour la liberté et l’indépendance de l’Inde mais aussi pour changer les mentalités et mettre en œuvre des réformes sociales et culturelles dans sa société, croyant fermement que « les Pachtounes devaient aller à l’école pour apprendre, et qu’ils devaient le faire dans leur propre langue ».  En 1910,  Abdul Ghaffar Khan n’a que 20 ans et a déjà à son actif la construction d’une école près d’Utmanzai dans la région nord-ouest de ce qui est le Pakistan d’aujourd’hui.

    Il va développer les écoles et l’enseignement pour les pachtounes. Il a fondé aussi l’«Anjuman-e islah ul Afghana », association afghane de la réforme, et publia le magazine Pashtoon pour se faire entendre des masses sous domination britannique.

    « Sa vie, nous dit Marie Lise Poirier sera alors entrecoupée de périodes de liberté pendant lesquelles il ne renoncera jamais à sa cause, celle de servir Allah en instruisant son peuple, et en tentant d’endiguer la violence profondément ancrée dans les mentalités. » Lui-même continue sans cesse à se former, profitant de la détention en prison pour étudier le Coran.

    En 1928, il rencontre Gandhi. Ils deviennent amis. A son retour, il crée la première armée de soldats non violents de l’Histoire, les « Khudai Khidmatgars », littéralement les « Servants de Dieu », surnommés aussi les « Chemises rouges » ou Surkhposh.  Ils vont former un mouvement religieux, nationaliste et progressiste actif dans la province de la frontière du nord ouest. Les  termes chemises rouges les ont parfois fait passer pour des communistes, ce qu’ils n’étaient pas. Ces « Serviteurs de Dieu », doivent ce nom à la couleur de l’habit qu’ils portent : une simple chemise rouge. Ces Pathans se sont tous engagés sur base volontaire dans ses équipes de serviteurs.

    Le plus surprenant est que ces ex- combattants, célèbres pour leur code de l’honneur guerrier et leur dédain de la mort vont devenir des guerriers pacifiques, sans armes! Ils vont apprendre avec Abdul ghafar Khan, à éviter la violence dans les revendications de libération nationale et à élaborer d’un projet de vivre ensemble avec d’autres ethnies  inspiré de la bienveillance des comportements et des valeurs du prophète Mouhammed (saws). Un changement total des mentalités et une transformation culturelle.

    En tant que Khudai khidmaitgar, serviteur de Dieu, Abdul Ghaffar Khan était convaincu que Dieu n’avait pas besoin de serviteur à proprement parler. Mais que la meilleure manière d’être au service de ce dieu était de se mettre au service de ses créatures. Il va enseigner à ses disciples que c’est en servant les créatures de dieu qu’on le sert véritablement. Les hommes qui voulaient rejoindre son  mouvement et en devenir les membres devaient jurer « de pardonner à quiconque les oppressait ou les traitait avec cruauté ». De plus, chacun avait pour devoir de « mener une vie simple » et de se consacrer au moins deux heures par jour à des tâches utiles socialement et au bénéfice de l’intérêt général.

    Abdul Ghafar Khan va s’associer avec le Mahatma Gandhi à la marche du sel et travailler à développer les actions de luttes non violentes. Il sera maintes fois emprisonné tant par les autorités britanniques  que  pakistanaises par la suite. Comme Gandhi, Abdul Ghaffar khan était contre la partition de l’Inde.  Ce qui lui vaudra de passer pas mal d’années de ses 98 ans de vie sur terre dans les geôles pakistanaises. En 1962, il fut même désigné « prisonnier de l’année » par Amnesty International. En tant que musulman, le crédo de Abdul Ghafar Khan  fut « Amal, yaqeen, muhabbat » c’est à dire : « travail, bonne action, foi et amour ».  Abdul Ghaffar Khan mourut le 20 janvier 1988, alors qu’il était assigné à résidence à Peshawar, il fut enterré dans la ville de Jalalabad en Afghanistan. Abdul Ghaffar Khan fut un pionnier de la nonviolence dans une région ravagée par les guerres. Alors on peut rêver qu’un jour pas trop  lointain, la philosophie de Khan, prônant un islam nonviolent, puisse inspirer les pachtounes et autres musulmans d’Afghanistan et de leur voisinage afin que revienne la paix sur cette région du monde déchirée par les saigneurs de guerre.

     

    extrait du libre « les ferments de la nonviolence en islam, témoignage d’une algérienne » de Aïda Abida, Editions Aifar