• Ce long chemin vers la conversation avec l’Aimé.

    « Un cœur abreuvé d’Amour est comme un Phoenix qu’aucune cage ne peut enfermer »   Roumi.

    Ce long chemin vers la conversation avec l’Aimé.

     

    Aussi loin que je me souvienne de mes premiers épanchements vers autre chose que ce monde et ses richesses qui m’ont depuis toujours paru dérisoires car éphémères, finies, incomplètes, n’amenant que la frustration d’une insatisfaction omniprésente, je revois mon esprit constamment obsédé de ce rejet de l’éphémère, quêteur d’absolu, ressentant il ne savait pourquoi l’existence d’une autre dimension que ce qui parait au départ de la vie consciente comme seule réelle : le paysage de ce monde.

    Commença alors un périple qui m’a tenu toute ma vie : toujours me perfectionner, toujours acquérir la connaissance pour atteindre cet « Après-là », n’hésitant pas à remettre en question moults acquis et certitudes. Aller vers le haut, se singulariser, s’améliorer. Il s’agissait déjà d’une grâce divine car ainsi commence la Voie : la conscience de ce mirage que représente ce que l’on voit et vit. Seul Dieu peut faire entrer cette âme sur ce chemin allant vers la Réalité vraie, existentielle pour ce que nous sommes et éternelle pour ce que nous devons devenir.  Il convient donc à déjà remercier le Bien-Aimé pour cet Amour qu’Il nous prodigue malgré nous. Cette gratitude n’est pas du ressort de tous les pèlerins.

    En même temps, au fur et à mesure du temps qui passe, se mettent en place des états d’être, des ressentis de plus en plus fins, subtils, échappant à ces définitions « officielles » de la voie religieuse : la recherche inconsciente et « naturelle » du pourquoi, l’opportunisme sincère des gens de foi, ces chercheurs de Paradis. Peu à peu, cette ultime conscience de la véritable unicité émerge. Le cheminant intègre intellectuellement les évidences de l’existence de l’unité, s’aperçoit que toujours il reste dans une dualité de laquelle il ne peut encore s’échapper. Cela est une deuxième grâce de Dieu : la clairvoyance, cette prise de conscience qui commencent à faire douter de soi, douter de ma proclamation verbale de l’unicité. La dualité m’apparut alors comme une réalité quotidienne de mon être. Je savais que j’étais un « croyant » et m’aperçevais en même temps que cela ne suffit pas : Iblis aussi est un croyant, un être qui a la connaissance de son Seigneur. Ce seul symbole rend compte de notre réalité d’être.

    Un jour, après moultes pérégrinations sur et hors la Voie, toujours dans les limites de mon existence, une troisième grâce irradia des cieux. Un état au delà des états s’installa à mon corps défendant car je n’espérais plus, ne savais plus ce que c’était que croire, avais épuisé les ressources tant de mes actes de piété que de ceux de ma raison. Je « décidais » (du moins le croyais-je !) qu’il était temps de quitter ce monde, d’en voir les dernières brillances, de les goûter aussi et d’éteindre la bougie qui avait brillé toute ma vie. Prendre ma part de Paradis ! Quand une telle vie devient plein à ras bord, il est temps de sceller la jarre ou de la vider !

    Aujourd’hui prudent car ne comprenant pas très bien ces nouveaux ressentis aussi discrets que doux, je pensais un certain temps à une renaissance de ce qui avait été, étant en même temps conscient que cela ne pouvait être. Puis, peu à peu, sans même m’en apercevoir tant fluide fut l’ « installation »  de cet état d’être, je compris – avec mon intellect qui est toujours présent et en activité car j’appartiens encore à ce monde – qu’une autre région de ma conscience et même de mon âme s’était découverte, dévoilée, révélée. Je ressens depuis lors une vaste plaine sans rien de bien défini en tant que formes, à l’atmosphère sereine et souriante, au ciel lumineux, sans causes ni effets, sans supports, avec une merveilleuse et douce présence, celle de mon Aimé que j’avais tant et tant cherché durant toute ma vie d’efforts, d’études, de voyages, de sacrifices, de renoncements.

    Je comprends maintenant pourquoi je croyais avancer autrefois tout en m’apercevant que je faisais du surplace. Je l’ai compris après que se fut installé cet état d’être, avec un recul comme si j’avais quitté un monde pour en intégrer un autre. Je pouvais ainsi analyser ce que j’avais vécu durant ces 30 années passées dans cette voie de l’effort en tout domaine appartenant à ma quête. Je compris aussi pourquoi il m’avait fallu 10 ans de plus à rejeter tout ce que j’avais appris, toutes mes certitudes. J’ai même essayé d’oublier, d’effacer de ma mémoire toutes ces convulsions pathétiques qui ne me satisfaisaient pas. Tant d’idoles brûlées pour si peu de lumière ! J’avais même renoncé à Dieu, l’invectivant, me battant avec Lui ! Aujourd’hui, je vois que c’est Lui qui a gagné !

    L’errance est donc si nécessaire au derviche qui entre un jour dans une maison rencontrer cet Ami qui l’attendait depuis si longtemps. Il devient l’invité de l’Invité, le compagnon du Compagnon.

    Alors je vis que le seul obstacle qui restait au dévoilement de la Voie, la suprême idole qu’il fallait brûler (et ce n’est pas une image !) était moi­-même, constamment devant Dieu et non pas avec ou en Lui pendant des décennies, faisant barrière à cet Être d’Amour qui voulait m’aimer et que j’empêchais d’entrer dans ma maison.  Je ressens en même temps que cela aussi est une grâce de Dieu, que cela vient de Lui. J’ai pleinement conscience de mon incapacité, de mon impuissance à enlever ce voile, de ma fragilité qui m’a fait renoncer à poursuivre la Voie. En même temps, je sais maintenant que ces mêmes renoncements, ingratitudes, aveuglements, faiblesses, déshonneurs font partie de cette même Voie, que seul celui qui est tombé connait la douleur de sa chute et sait comment il s’est relevé, que, comme le Ronin, ce samouraï libre, il peut dire : « tomber 7 fois et se relever 8 » !

    Depuis tout ce temps, encombré de moi-même, j’empêchai mon Bien-Aimé d’entrer dans mon âme car quand Il me montrait que telle chose, tel événement étaient bons, je disais : « Non, je veux ceci ou cela ». Lui, dans Son immense Amour, me laissait à mes vouloirs puisque je refusais les Siens. Je ne L’ai jamais laissé libre d’appliquer pour moi ce qu’Il voyait de meilleur. Je L’avais toujours emprisonné dans mes décisions d’aveugle alors que Lui est le Voyant par excellence. Aujourd’hui, Il m’a permis de Le libérer : j’ai libéré Dieu des chaînes de mon ignorance despotique. Je le laisse agir comme Il l’entend maintenant. Je n’ai plus à travailler, faire des efforts, forcer les barages, détruire les obstacles : il n’y en a plus : Dieu est, installé dans toute Sa perfection et Sa lumière. Il décide car Seul Lui est. Dieu est entré dans la maison de l’âme sans cette dernière qui a toujours occupé toute la place.

    Alors la conversation s’installe. Dans mes prières retrouvées, dans mon regard sur le ciel et le monde, dans mon amour de mes soeurs-créatures, le son de la flûte enchantée plane sur ma conscience enfin éclaircie des sursauts du vouloir, des émois, des causes et des effets. Un vent doux et parfumé couvre cette dualité qui m’a tant fait souffrir sans que je ne le comprenne. Dans cette région de ma conscience, ce « la makaane », ce « non-espace » de Roumi, est venu s’installer mon Invité. Ce même Être d’Amour m’a dévoilé ce lieu à l’intérieur de moi où je ne suis pas, où Seul alors Il peut être. Quand un tel Ami vient chez soi, Il ne repart plus. Comme pour l’adorateur qu’entendit Moïse, je Lui ai préparé Sa couche, nettoyé Sa chambre, préparé un plat des meilleurs légumes de mon jardin que j’ai cultivé avec amour. Quand je viens Le voir, je peux masser Ses pieds et Ses bras, parfumer Ses cheveux d’essences du Jujubier de la Limite, du Lotus des confins de la création, de l’Olivier de la plaine sans fin de ma conscience . J’aime l’odeur de Sa peau, la musique de Ses paroles. J’ai cousu pour Lui les plus beaux habits des plus belles étoffes que j’ai pu trouver, ces lambeaux d’étoiles qui sont si ternes devant Sa Lumière. Je Lui chante les merveilleux vers qu’Il a inspiré à un de Ses plus grands amis, Maoulaana Djalaal-Oud-Dine Roumi par l’intermédiaire d’un autre de Ses proches, Shams-Oud-Dine Tabrizi. Quelquefois, je prends ma guitare et pour Lui je joue en chantant ce sublime Mathnawi Ma’nawi que Lui-même a donné à Ses amoureux. (*)

    Et cet Ami est si présent, si fidèle, si attentionné qu’à chaque regard que je porte sur un être humain, un arbre, un animal, une pierre, Il est là qui accompagne ma vision. Ses yeux sont dans mes yeux, Sa pensée dans la mienne.

    Je ne cesse plus de prier pour qu’Il ne s’en va pas de ma maison. Le jour où Il devra s’en aller, j’irai avec Lui. Je L’accompagnerai cette fois ci sur la route de Sa maison où Il m’accueillera pour l’éternité et à jamais je contemplerai Son Visage.

     

    Farouk – Aubusson – Ba Baraka é Khourroudj – 27/01/2017.

    (*) : Libre digression sur le thème du Hadith Qoudssi:  « Mon serviteur ne cesse de s’approcher de Moi par les œuvres surérogatoires jusqu’à ce que Je l’aime. Or, lorsque Je l’aime, je suis son ouïe par laquelle il entend, sa vue par laquelle il voit, sa main par laquelle il attrape, son pied par lequel il marche. »

    Symbolisme aussi exprimé dans le Coran :

    Sourate 5/verset 64 ( « les mains de Dieu »).

    Sourate 28/verset 88 ( « la Face de Dieu »).

    L’histoire de Moïse et de l’adorateur est tirée du Mathnawi de Djalaal-Oud-Dine Roumi (r).

    Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.