La première répercussion qui se dégage de ce témoignage de l’Islam en Chine concerne la nature même de l’Islam. En effet, au sein de notre Occident, le message de Mouhammad (SAW) s’est très rapidement confondu avec les cultures – très proches les unes des autres – des premiers peuples à l’avoir reçu : Arabie, Irak, Iran, Afrique du Nord, Moyen-orient. Nous entendons par « culture », cet ensemble de facteurs hérités à travers l’histoire de l’Homme qui l’amène à se comporter, à vivre, à réagir d’une manière plutôt qu’une autre. Cet héritage vient de très loin dans le temps, comporte les valeurs fondamentales de toute une société. Plus individuellement, elle a sa source dans l’éducation reçue dans l’enfance, appartenance sociale, études, médias, livres, etc. Les religions ne sont qu’un élément parmi d’autres et sont plus récentes que l’atavisme profond d’un groupe humain.
Ne pas vivre un Islam d’assiégé
Nombre de pratiquants sincères, d’origine non arabe, vivent l’Islam comme s’ils étaient en état de siège, comme si leur croyance en la « nécessité d’arabité » emprisonnait leur culture native, à tel point qu’ils la rejettent. Cela se passe comme si leur pratique était une forteresse attaquée de toutes parts par des ennemis de leur pensée et de leur besoin de Dieu à travers le message de Mouhammad (SAW).
Comme le prouve largement cette histoire des Hui, et pour reprendre un thème cher à notre ami-frère-maître Maurice Gloton, pour espérer ambitieusement trouver, réaliser, rejoindre un jour l’Harmonie universelle de l’Acte créateur divin, notre conviction est qu’il nous faudra réaliser notre harmonie relationnelle, non seulement avec les autres en repensant notre réflexe de les renier pour exister, non seulement en accueillant entièrement l’autre dans sa dimension différente et respectable,
mais aussi trouver cette harmonie relationnelle avec nous-même, se trouver enfin en phase totale avec tout ce qui nous a construit.
La rencontre avec soi
Comme en atteste cette “expérience” de plus d’un millénaire d’Islam chinois, la fidélité, les retrouvailles avec la culture qui nous a construits durant notre enfance ainsi que notre héritage atavique sont un événement qui nous conduira à une valeur beaucoup plus haute de liberté et surtout, de sérénité, de réconciliation avec ce qui nous a bâtis. Il s’agit aussi d’une rencontre avec nous-même accompagnée d’un grand enrichissement. Bien évidemment, celui de culture arabe ne se sentira jamais en porte à faux avec l’Islam car il y a derrière nous 15 siècles « d’arabisation » du message prophétique. L’ humanisation du divin en quelque sorte. Que Mouhammad (SAW) ait été un arabe du VII ème siècle est une chose, (et donc appartenant à une société, ethnie, géographie, et histoire précises et particulières) , y réduire l’universalité de son message en est une autre, car ce message rend compte de rien moins que du divin tout entier, au delà des formes et appartenances humaines. Cette réduction, commune et répandue, est d’une singulière pensée et pratique primitives, refusant une réflexion libre et éclairée pour une orthodoxie proposant une caricature d’un véritable chercheur du divin : le religieusement correct est d’une banale actualité !
Il en a été tout autrement quant à l’univers sinisé dont cet article nous dresse un témoignage exhaustif.
Cette évocation clairvoyante de cette transcription de concepts fondamentaux en fonction de la structure de pensée est d’une magnifique pertinence, et nous démontre qu’être musulman, c’est à dire disciple de Mouhammad (SAW), et donc subordonné au message prophétique, ce n’est pas devenir arabe: l’Islam n’est pas l’arabité.
Au 7e siècle
Il aura fallu à Sa’ad Bin Abi Waqass, compagnon du Prophète, à son arrivée en Chine une belle réflexion pour faire comprendre à la pensée chinoise les fondements de la croyance abrahamique, ainsi que nous le raconte cet article :
Le premier principe affirmait que l’unicité de Dieu (l’Absolu) confirmait que toute existence était gouvernée par une seule, suprême Réalité. Le second principe affirmait la continuité de la nature, l’équilibre et la parfaite harmonie du Ciel, de la Terre et des Dix Mille Choses. Le troisième principe était celui de la Voie du Milieu (Loi prophétique et Sunna), qui éliminait l’extrémisme et posait les fondements d’une vie individuelle et sociale saine. Le quatrième était la principale composante humaniste de la Voie du Milieu en tant qu’incarnation de l’Humain Parfait. Bien que les prophètes ( les sages suprêmes) étaient l’avatar suprême de la perfection humaine, les sages d’autrefois et les saints (awliya’) partageaient cet aboutissement et étaient également des modèles exemplaires. Le principe final était la composante humaniste universelle de la perfection humaine en général, l’objectif le plus élevé, à la fois de l’islam et de la tradition chinoise. Elle nécessitait l’adhésion à la Voie du Milieu, l’émulation des Sages suprêmes et la confiance dans la bonté intrinsèque (fitra) de l’âme humaine.
Mosquée à Tombouctou : l’Islam garde son identité africaine
Nous réconcilier avec notre culture
À nous maintenant, musulmans de culture judéo-chrétienne de trouver cette harmonie entre ce message prophétique qui nous parle et nous fait vivre et nos origines qui ne sont certes pas moins honorables que les autres. En fait, c’est ce que font les pratiquants d’origine arabe quand ils reviennent à l’Islam : il est bien légitime pour eux de retrouver leur culture. Mais quant à celles et ceux qui n’ont jamais rien eu à voir avec la culture arabe, comment vivre son authenticité et surtout ne plus vivre cette appartenance à une culture non arabe comme un conflit avec le message de l’Islam?
Qu’Allah nous guide sur ce chemin pour rien moins que vivre une telle sérénité qui nous conduise à une totale béatitude constante et définitive. Ne plus rien voir et sentir que le divin en tout regard et toute chose, entrer, participer à la parfaite harmonie du ciel et de la terre et des dix mille choses.
Trouver notre propre Voie du Milieu dans l’empire céleste du divin. Réveiller en nous le géant qui sommeille pour respirer l’air frais du matin calme. Entrer au pays du sourire en ce soleil levant.
J’aime beaucoup cet article et vous remercie pour ce nouveau point de vue que vous offrez. Il me viens l’envie de voir une jolie mosquée de style alsacien dans mon petit village alsacien… Il serait intéressant de proposer ce sujet en discussion avec des frères et des soeurs architectes et urbanistes, et de s’interroger sur le regard que porteraient les élus des communes (françaises en l’occurence) sur la construction de temples musulmans dont l’esthétique se confondrait avec celle du patrimoine architectural local.